A tout juste trente ans, SHIINO Kentaro est sans doute le plus jeune maître bonsaï du Japon. Au pays du soleil levant, cet art traditionnel est très souvent considéré comme un loisir pour personnes âgées alors lorsqu’un jeune homme se lance dans l’aventure et crée sa pépinière bonsaï de toutes pièces, nous ne pouvons être que impressionné et surtout vouloir en savoir plus.
L’occasion m’en a été donnée par Guy Maillot. Ce professionnel du bonsaï a organisé des ateliers avec ce jeune maître dans sa Pépinière de l’Ain début mars 2010 où j’ai pu me rendre afin de poser quelques questions à Shiino Kentaro.
Galerie des bonsaï de Maître Shiino Kentaro
Petit-arbre : SHIINO Kentaro, qu’est ce qui vous a donné envie de venir en France enseigner l’art du bonsaï ?
SHIINO Kentaro : L’élément déclencheur a été ma rencontre avec Guy Maillot et les affinités que nous avons développé. Nous avons la même perception du bonsaï traditionnel. Sans doute cela est-il dû à l’enseignement que nous avons reçu. (Ndlr : Guy Maillot a étudié plusieurs années au Japon chez Maître SUDO).
Vous parlez de votre apprentissage du bonsai, où avez-vous étudié?
J’ai suivi l’enseignement de Maître SUZUKI TORU dans les jardins de Daiju-en pendant 5 années. Puis j’ai ouvert ma propre pépinière en 2004 que j’ai appelé Hoju-en dans la région de Shizuoka au pied du Mont Fuji. Je suis notamment spécialisé dans les conifères.
Pourquoi avoir choisi cette spécialité?
Mon maître d’apprentissage est lui-même spécialisé dans les conifères. Au Japon, il est certainement l’un des plus grands spécialistes si ce n’est le plus grand. C’est donc tout naturellement, que je me suis tourné vers les conifères. L’espèce que je préfère est le pin noir, mais tous les conifères ont des impératifs de culture relativement similaires. Les Juniperus restent néanmoins beaucoup plus faciles pour de nombreux travaux.
Quelles sont les espèces les plus difficiles ou que vous n’appréciez pas ?
Le Pinus densiflora est peut-être l’espèce que j’apprécie le moins. Quant à l’arbre le plus difficile, je dirais sans hésitation le Juniperus rigida.
Dans quelle mesure, pensez-vous que les conifères japonais, les Pinus pentaphylla notamment, peuvent s’adapter au climat européen ?
Il n’y a pas de grande différence de climat entre la France et le Japon si ce n’est la période estivale qui chez nous est très humide. La saison végétative est un peu plus longue également. Vous avez cité le Pinus pentaphylla, celui-ci demande du soleil et des arrosages très copieux. A l’état spontané, les pins blancs vivent au sud du Japon sur l’île Shikoku et dans la région de Fukushima.
En France, nous entendons souvent parler de différence de vigueur entre des Pentaphylla greffés et ceux obtenu à partir de semis. Qu’en pensez-vous ?
Au Japon, les professionnels qui font de la qualité ne cultivent pas de pins greffés (sauf rares exceptions). Mais je ne pense pas qu’il y ait de différence notable entre les deux, en tout cas leurs exigences culturales sont identiques.
Chez les Pentaphylla en formation, faut-il privilégier les pincements ou le désaiguillage arrière ?
Il est important si l’arbre est en pleine santé de faire les deux : pincements et désaiguillage. Toutefois le pincement reste prioritaire. Il faut bien engraisser les pins. J’utilise l’engrais Tamahiqui est semble-t-il peu connu en France, et j’ai de très bons résultats. Guy Maillot a vu mes arbres et a pu constater le résultat de ma culture. Je crois qu’il importera cet engrais dès cet été.
Il faut aussi que les amateurs se limitent à une intervention majeure par an (en règle générale). Une année : ligature ; une année : rempotage, etc. Exactement comme pour les pins de cet atelier. Ils ont été ligaturés et mis en forme aujourd’hui ; ils seront rempotés l’année prochaine, puis ils seront au repos un an.
Bien-sûr, les professionnels maîtrisent complètement l’entretien de leurs sujets et peuvent se permettre d’intervenir de façon plus rapprochée sur leurs arbres.
En Europe, nous n’avons pas de tradition du bonsaï, que nous manque t-il aujourd’hui pour aller plus loin, pour progresser ?
Les bonnes bases ! Et donc des cours et des ateliers par des gens compétents formés dans la tradition du bonsaï japonais. (Rires).
Les collections des amateurs européens comportent très souvent une grande variété d’espèces cultivées en bonsaï. Devrions-nous tirer des enseignements de votre spécialisation en nous concentrant sur quelques espèces ?
Il vaut mieux se concentrer sur 4 ou 5 espèces et ainsi observer leurs points forts, leurs faiblesses et pouvoir faire face aux problèmes de culture (maladies et parasites, maîtrise de l’arrosage, exposition, etc.). Plutôt que 50 espèces en totale improvisation, ce qui aboutit souvent à des échecs. Se concentrer d’abord sur une espèce, vous apportera de nombreuses satisfactions et découvertes. Vous pourrez alors passer par la suite à d’autres espèces.
A votre avis, quelles sont les erreurs les plus fréquentes chez les européens et quels conseils leur donneriez-vous ?
J’ai l’impression que les européens veulent trop imposer leur technique sans tenir compte de l’arbre et surtout sans en maîtriser la culture. Il manque aussi de mise en scène dans la présentation des arbres. Le principal conseil que je peux leur donner est de bien observer les arbres, d’être patients. Il faut se concentrer sur la culture et non sur la quantité. Il est préférable d’acheter des sujets ayant un fort potentiel même très jeune et d’apprendre à reconnaitre le potentiel de chaque sujet, à observer ses réactions, sa pousse, etc.
C’est ainsi que vous procédez pour travailler vos arbres ?
Oui, l’observation est cruciale. Bien réfléchir est plus important que la technique. Il faut prendre son temps. Il y a des choses qui ne s’apprennent pas dans les livres : savoir observer pour trouver ce qui donnera à l’arbre son caractère propre, sa personnalité, son côté spécifique qui saura émouvoir le spectateur.
Quelle est la différence principale entre un professionnel du bonsaï et un bonsaïka amateur au japon ?
La façon de penser, d’observer… Au Japon, l’arbre qui est mis en avant plus que l’éleveur. En Europe, il me semble que c’est plutôt dans l’autre sens.
Pensez-vous que le yamadori est préférable à la culture ou bien peut-on imaginer parvenir à créer des arbres de grande qualité avec les techniques horticoles et artistiques actuelles ?
Quand les choses sont faites avec passion tout est possible ! Yamadori, boutures, semis, etc.
Comment évolue le bonsaï au Japon ces dernières années ?
Nous constatons un retour aux bonsaï de petites tailles. Chuhin, shohin et mame ont de plus en plus de succès. Nous nous apercevons aussi que les moyogi d’apparence très naturelle sont souvent plébiscités.
Sachant que plusieurs grands maîtres japonais vont arrêter leurs activités professionnelles, comment percevez-vous l’avenir du bonsaï ?
Nous allons aller de plus en plus vers de la qualité. Il y aura moins de pépinières bonsaï et plus d’arbres de hauts niveaux, de master-pièces.
D’un point de vue spirituel, pensez-vous que la pratique de l’art du bonsaï peut nous faire changer, éclairer nos vies ?
Oui, normalement. Apprendre à regarder les arbres, trouver ses qualités mais aussi accepter ses défauts pour en faire un arbre unique peut nous amener à accepter de se regarder et à apprendre à mieux se connaitre.
SHIINO Kentaro, quel est pour vous l’esprit de l’art du bonsaï, que véhicule-t-il ? Est-ce que cet esprit est enseigné par les maîtres japonais ?
L’humilité. (Pause).
On tente d’éveiller dans un premier temps, le recul et l’humilité. Ce qui passe souvent par le silence, l’observation. Il y a certaines personnes chez qui c’est plus long à venir. (Rires).
Qu’est-ce qui vous plaît dans le bonsaï ?
Le raffinement et le fait d’apprendre cet art tout au long de sa vie.
Que doit représenter un beau bonsaï ? Quel doit être l’idéal vers lequel nous devons tendre dans le travail de nos arbres ?
Il faut faire du naturel et mettre en évidence l’aspect âgé, le vécu de l’arbre. Il est préférable de s’éloigner de l’arbre stéréotypé, absolument sans défaut trop souvent évoqué dans les clubs.
Un mot de conclusion ?
Je pense qu’en Europe, le bonsaï évolue nettement dans le bon sens et sans doute grâce à un public beaucoup plus jeune qu’au Japon. Je suis le plus jeune professionnel de bonsaï du japon et j’espère bien attirer une nouvelle clientèle, plus jeune. Merci de m’avoir posé ces questions et écouté.
Merci à Guy Maillot d’avoir rendu possible cette rencontre et interview. Merci aussi pour tout le travail de traduction.
Merci à Maître Shiino Kentaro pour sa gentillesse et pour nous avoir accordé du temps.
D’autres ateliers sont régulièrement organisé en France et notamment chez Maillot Bonsaï avec Shiino Kentaro, mais aussi Kyoshi Murakawa et bien d’autres.
Interview de Shiino Kentaro publié sur le site parlonsbonsai.com
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